Même si les témoignages sont rares, sans
doute parce qu'on les a confondus avec l'action du poltergeist, ils sont
parlants et remontent loin dans le temps. En voici un, tiré de la Saga
des gens du Flói, rédigée vers 1300 et dont l'action se déroule dans
le sud-ouest de l'Islande trois siècles plus tôt :
Il fit beau le jour de Noël et les hommes furent
dehors toute la journée. Le second jour, Thorgils et ses compagnons se
couchèrent tôt ; ils avaient déjà dormi lorsque Jostein et les siens
entrèrent bruyamment dans la hutte et se mirent au lit. À peine étaient-ils
étendus qu'on frappa à la porte. Un des compagnons de Jostein se leva
d'un bond en s'écriant : "C'est sans doute une bonne nouvelle
!" Il sortit, fut pris de folie et mourut le lendemain matin. La même
chose advint la nuit suivante : un homme devint fou et déclara qu'il
voyait se précipiter sur lui le défunt de la veille.
Un récit islandais recueilli au XIXe siècle raconte
comment un diacre de Mirká, dans l'Eyjafjördur, se noie en franchissant
une rivière6. On l'ensevelit une semaine avant Noël. Mais la veille de
la Nativité du Seigneur, Gudrun, son épouse, " entendit frapper à
la porte. Une autre femme, qui était avec elle, alla aux portes, mais
elle ne vit personne dehors. D'ailleurs, il ne faisait ni clair ni noir
car la lune était tour à tour cachée par les nuages ou découverte.
Quand la femme rentra en déclarant qu'elle n'avait vu personne, Gudrun
dit : "Ce doit être pour moi, et je vais sortir, assurément".
" Dehors, elle voit le cheval de son mari et un homme qu'elle prend
pour son époux. Elle monte en selle et ils s'en vont. Ils arrivent à la
porte du cimetière où le diacre attache son cheval et Gudrun aperçoit
une tombe ouverte. Terrifiée, elle a la présence d'esprit de saisir la
corde de la cloche. " Au même instant, on l'attrape par-derrière et
elle eut de la chance de n'avoir pas eu le temps d'enfiler les deux
manches de son manteau, car on l'avait empoignée si fortement que le
manteau se déchira à la couture des épaules. Le diacre se précipita
dans la tombe ouverte en faisant retomber la terre sur lui de tous côtés
." Gudrun rentre chez elle, mais " cette même nuit, lorsqu'on
se fut couché et que la lumière eut été éteinte, le diacre arriva et
persécuta Gudrun [...]. Pendant un demi-mois ensuite, elle ne put jamais
rester seule et il fallut la veiller chaque nuit. " Finalement, on
appelle un sorcier qui fait rentrer le mort sous terre par ses
conjurations, roule une pierre sur la tombe, et Gudrun se rétablit, mais
" elle ne fut jamais plus la même qu'avant ". Le texte ne
laisse aucun doute sur ce que signifie frapper à la porte : le mort ne
vient pas chercher une personne au hasard, mais celle qui fut son épouse,
et le narrateur marque bien ce détail puisque le diacre reste invisible
à toute autre personne. Si Gudrun ne meurt pas, elle en reste néanmoins
marquée à vie.
Le broucolaque d'Europe du Sud est simultanément un
frappeur et un appeleur. Il a coutume de heurter à la porte des maisons
et d'appeler les gens par leur nom ; qui leur répond meurt aussitôt.
Les croyances ont la vie dure. Vers 1900, des étudiants déclarèrent à
Joseph Klapper qu'on croyait ceci à Gleiwitz (Silésie) :
Quand une personne est décédée, la nuit suivant son
enterrement, quelqu'un frappe à la porte. Il ne faut pas ouvrir car c'est
le mort qui est dehors. Si l'on ouvre, il emporte dans la tombe d'autres
membres de la famille.
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