La
croyance en des défunts qui se manifestent aux vivants en
diverses circonstances est fortement enracinée dans les mentalités.
Elle est fondée sur une conception du trépas perçu non comme
une irrémédiable disparition mais comme le moment d'un cycle
englobant la vie et la mort, une retraite temporaire dans un
autre monde qui n'est pas hermétiquement clos et s'ouvre en
particulier pendant l'hiver. Fantômes et revenants se recrutent
parmi les morts sans sépulture, les disparus prématurément -
suicidés, noyés, assassinés, etc. - dont le décès a donné
lieu à des manifestations bizarres - par exemple le corps a gardé
ses couleurs, sa souplesse ou les yeux ouverts -, ou encore parmi
les individus redoutés de leur vivant pour leur malignité ou
parce qu'ils étaient sorciers, voyants ou devins. Pour l'Eglise
chrétienne, les revenants sont des âmes du purgatoire attendant
d'être rédimées par les vivants auxquels elles réclament des
messes ou d'autres suffrages ; pour les païens ce sont
essentiellement des morts mécontents de leur sort.
Il
ressort de cet ensemble de croyances que les défunts peuvent
agir, aider et tuer, raison pour laquelle on les redoute. L'histoire
des mentalités permet d'expliquer les fondements de ces
convictions. On croyait autrefois que chaque individu a en lui
un double (alter ego) de chair et de sang, que certains appellent
« corps astral » ou « mumie » paracelsienne, qui continue à
vivre tant que l'individu n'est pas tota- lement détruit.
Certains croyaient aussi que l'homme possède plusieurs « âmes
» - animus, anima, spiritus -, les unes situées dans le sang, le
foie ou les os, les autres ayant la forme d'un souffle. Dans ce
cas, seule l'âme au sens chrétien quitte le corps au décès,
les autres y demeurant et lui permettant d'agir. Alors que les
fantômes viennent de l'au-delà ou sont sur le point de s'y
rendre, les revenants restent bloqués entre ici-bas et au-delà ;
l'Hadès des grecs ou l'empire de Hel chez les Germains les refuse
en raison de la façon dont ils sont morts ou de leur prédestination
à la naissance (ils sont nés avec des dents ou coiffés du
placenta, ou encore à un moment particulier).
Pour
s'en préserver, divers moyens furent utilisés dans toute
l'Europe de l'Antiquité au début du XXe siècle, attestés
dans leur ensemble par les découvertes archéologiques : des
rites funéraires visant à fixer le défunt dans sa dernière
demeure, à le contenter, à lui faire comprendre qu'il appartient
désormais à l'autre monde, ou bien des mesures plus radicales
comme la mutilation du cadavre - on coupait et plaçait sa tête
à ses pieds -, son ligotage, son enfouissement dans un filet ou
sous une herse pointes en bas, sous des ronces, sous des pierres
ou sous une croix ; on mettait le mort à plat ventre dans la
tombe, on enterrait les suicidés sous les carrefours et on jetait
les criminels dans les marais ou dans une fosse creusée sous le
gibet. On pouvait aussi semer des graines de pavot sur la route
menant de la tombe à sa maison, car le mort devait les ramasser
une à une avant de pouvoir agir. Les chrétiens attachaient les
mains du défunt avec un chapelet, fermaient le linceul avec des
épingles de fer, encensaient la tombe (les démons censés se
glisser dans le cadavre pour l'animer ont horreur des parfums),
aspergeaient la sépulture d'eau bénite pour en faire un lieu
consacré...
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